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Etude comparative sur l'aide à la reduction de la pauvreté: Le cas de le France

Lionel de Boisdeffre

Référence bibliographique: Boisdeffre, L. de. 1996. Etude comparative sur l'aide à la reduction de la pauvreté: Le cas de le France. Paris: DIAL.


SOMMAIRE

1. La stratégie française de lutte contre la pauvreté

  • 1.1 Place de l'aide française au sein des pays du CAD
  • 1.2 Organisation institutionnelle de l'aide française
  • 1.3 Les principales orientations de l'aide française

2. La gestion des actions contre la pauvreté à travers les programmes par pays
3. La lutte contre la pauvreté à travers l'aide financière
4. La réduction de la pauvreté à travers l'aide projet

  • 4.1 L'aide aux initiatives productives de base (AIPB)
  • 4.2 Les systèmes financiers décentralisés
  • 4.3 Le Fonds Social de Développement

5. Autres canaux de la lutte contre la pauvreté

  • 5.1 Le développement local
  • 5.2 La décentralisation
  • 5.3 La coopération décentralisée
  • 5.4 L'appui aux ONG

6. Conclusion

 


1. La stratégie française de lutte contre la pauvreté

L'aide française se distingue par son caractère généraliste. Elle ne semble pas guidée par une approche globale clairement définie et les institutions qui la gèrent interviennent de manière dispersée. En matière de pauvreté, aucune stratégie spécifique n'a encore été élaborée. Pour en comprendre les raisons il convient de rappeler brièvement les caractéristiques quantitatives (1) et institutionnelles (2) de l'aide française, avant d'en dégager les principales orientations (3).

1.1 - Place de l'aide française au sein des contributions du CAD

Au troisième rang des contributions des pays du Comité d'Aide au Développement de l'OCDE (CAD), l'aide française s'inscrit dans la continuité de relations historiques d'Etat à Etat, que traduisent la priorité africaine, d'une part, l'importance de l'aide bilatérale et de la coopération technique, d'autre part.

Ainsi, en 1994, l'aide française s'élevait à 8,45 milliards de dollars, derrière celles du Japon (13 milliards) et des Etats-Unis (10 milliards). En termes de pourcentage du PIB (0,64%), elle se situait au cinquième rang mondial, derrière la Norvège, le Danemark, la Suède et les Pays-Bas. Sur les 36,7 milliards de francs d'aide bilatérale, l'Afrique totalisait 22,1 milliards.

Quoique déclinante (27% de l'aide publique en 1992 contre 37% en 1986/87), la part de l'aide destinée à la coopération technique reste supérieure à la moyenne du CAD (de 21% en 1992) et doit être rapprochée de la place accordée à l'éducation et à la culture dans la coopération française. L'aide sectorielle décline comme dans les autres pays du CAD, au bénéfice de l'aide programme et du réaménagement de la dette.

Répartition de l'aide française par secteurs et par instruments

 


1981/82


1991/92

Moyenne du CAD (1990/91)

Infrastructures sociales et services

49,5%

33,1%

20,6%

dont Investissements et services éducatifs

27,1%

23,6%

9,2%

dont Santé

10,1%

3,0%

2,6%

Infrastructures économiques et services

13,2%

14,0%

17,6%

Secteurs de la production

21,4%

12,6%

12,1%

dont Agriculture

7,8%

7,7%

7,1%

Destination pluri-sectorielle

3,7%

6,0%

3,0%

Aide programme

5,4%

15,0%

11,7%

Réaménagement de la dette

2,0%

7,8%

18,1%

Aide alimentaire

0,4%

0,5%

3,2%

Aide d'urgence

0,5%

0,4%

3,3%

Concours aux organismes privés bénévoles

-

0,2%

1,2%

Autres

3,9%

10,4%

9,3%

Total

100%

100%

100%

Source: CAD

La part de l'aide française versée au système des Nations-Unies (2% en 1992) et, plus généralement, celle de l'aide multilatérale (23%) est bien inférieure à la moyenne du CAD (respectivement de 7,7 et 30%). En pourcentage du PIB, l'aide multilatérale française s'inscrit, toutefois, dans la moyenne des pays du CAD. L'aide publique française est, enfin, moins concessionnelle (70% de dons contre 80%, en moyenne, pour le CAD), moins intermédiée par les ONG et plus liée (52% de l'aide est liée contre une moyenne de 33% pour le CAD) que celle des principaux donateurs.

1.2 - Organisation institutionnelle de l'aide française

Cette organisation combine trois composantes: les bénéficiaires, les outils et les acteurs.

Les bénéficiaires se scindent, outre les Territoires d'Outre-Mer (TOM), entre les « pays du champ » du Ministère de la Coopération, traditionnellement au nombre de 37, situés pour la plupart en Afrique francophone, et les pays « hors champ », qui échappent à la compétence de ce ministère. Cette compétence a été étendue , en mai 1995, à l'ensemble des pays ACP (Afrique, Caraïbes, Pacifique), en même temps que le ministère passait sous la tutelle des affaires étrangères, et à l'Afrique du Sud en 1996. Le champ d'intervention de la Caisse française de développement a été élargi de la même manière, mais s'étend au-delà des pays ACP (voir infra).

Les trois outils principaux de l'aide française sont la coopération technique, le financement de projets d'investissement et le financement hors projets, ou « soutien économique et financier »: aide à la balance des paiements, consolidations et annulations de dettes, aide alimentaire, aide à l'ajustement structurel...

Enfin, les acteurs de la coopération sont, outre les ministères techniques concernés, ceux de la Coopération (MC), des Affaires Etrangères (MAE), de l'Economie (ME), des Dom-Tom (MDTOM) et la Caisse Française de Développement (CFD).

Le CAD décrivait en ces termes, avant la réorganisation de 1995/96, le partage des attributions en fonction de ces trois composantes dans la « série des examens en matière de coopération pour le développement, France 1994 » de l'OCDE:

« Le MC est responsable de la coopération financière et technique avec les pays "du champ", où il est représenté par des missions de coopération et d'action culturelle auprès des ambassades de France. L'aide financière hors projet pour ces pays, notamment pour l'ajustement structurel de leurs économies, est gérée conjointement par le MC et le ME, ce dernier étant représenté par la Direction du Trésor. La CFD intervient aussi dans les pays "du champ", où elle est représentée par ses agences, et finance des projets d'investissement productif, tandis que le MC finance des projets d'infrastructure économique et sociale via le Fonds d'aide et de coopération (FAC). D'autres ministères spécialisés interviennent dans les pays "du champ" pour des actions de coopération technique, souvent par l'intermédiaire d'instituts spécialisés sous leur tutelle.

« Concernant les pays "hors champ", la DGRCST du MAE (Direction générale des relations culturelles, scientifiques et techniques) est chargée de la coopération technique (dont les programmes sont conçus et gérés par la Direction de la coopération au sein de la DGRCST). L'aide financière aux pays "hors champ" est administrée par la Direction du Trésor au ME. La CFD a été autorisée récemment à intervenir dans certains pays "hors champ" (Indochine, Ethiopie, Erythrée) pour financer des projets productifs, en plus des pays du Maghreb où elle est déjà établie comme institution d'aide. D'autres ministères interviennent aussi dans les pays "hors champ", suivant leur spécialité, avec des mesures de coopération technique.

« Le soutien aux TOM est géré et coordonné par le ministère des DOM/TOM; la CFD et les ministères spécialisés interviennent aussi dans ces territoires. »

Répartition de l'aide hors TOM par structure de financement en 1991

 

Aide totale (y c. multilatérale)

Aide bilatérale

Ministère des Finances

55%

42%

Ministère de la Coopération

15%

21%

Caisse Française de Développement

9%

12%

Ministère des Affaires Etrangères

9%

9%

Autres

12%

16%

Total

100%

100%

Source: Conseil Economique et Social

Charte : Organisation du dispositif d'aide public français

La multiplicité des intervenants induit une certaine complexité, qui nuit à la définition et à la mise en oeuvre d'une politique globale répondant à des objectifs clairement définis. D'où l'effort d'harmonisation de ce système:

à travers la création, consécutive au Sommet franco-africain de La Baule (1990), d'un Comité d'Orientation et de Programmation (C.O.P.), qui réunit, sous la présidence du Ministre de la Coopération, les représentants des Ministères de la Coopération, de l'Economie, des Affaires étrangères et de la Caisse Française de Développement et vise à coordonner l'aide et à assurer la cohérence globale de la politique de coopération dans les pays « du champ »;

  • à travers une concertation permanente entre les représentations de la Caisse Française de Développement et du Ministère de la Coopération dans ces pays, lesquelles élaborent en commun des orientations triennales glissantes (dites « orientations à moyen terme » ou « OMT ») pour leurs programmes pays. Dans les pays « hors champ », la coordination est menée au cas par cas par les administrations concernées, notamment le Trésor et le Ministère des Affaires Etrangères;
  • à travers la création (décidée en février 1996) d'un Comité Interministériel de l'Aide au Développement (CIAD), qui doit réunir, au moins une fois l'an, sous la présidence du Premier Ministre, tous les ministres concernés, pour définir les orientations de l'aide publique au développement (APD), dans ses aspects tant bilatéraux que multilatéraux, et approuver un rapport annuel sur l'évaluation et l'efficacité de l'APD. Cette coordination interministérielle sera étendue aux administrations.

    Ces mesures s'inscrivent dans la réorganisation du dispositif d'aide, engagée depuis les élections présidentielles de 1995. Cette réorganisation vise à faire de l'aide française une composante prioritaire de la politique extérieure (d'où la nouvelle tutelle du Ministère des Affaires Etrangères sur celui de la Coopération), à harmoniser, clarifier et rationaliser les interventions, en renforçant les synergies et l'efficacité du dispositif. S'il est trop tôt pour en évaluer l'impact et l'effet unificateur, cette réforme, qui semble hésiter dans les méandres institutionnels, n'apparaît finalisée ni dans sa mise en oeuvre, ni dans ses orientations. Une illustration en est l'élargissement à mi-parcours du « champ » du Ministère de la Coopération: seul le Ministre a actuellement compétence sur les pays ACP, à l'exclusion des services du Ministère; qui plus est, le Fonds d'Aide et de Coopération (FAC), principal instrument du Ministère pour le financement des investissements, n'est pas habilité pour l'instant à intervenir dans les pays ACP situés en dehors du champ traditionnel.

    1.3 - Les principales orientations de l'aide française

    Ces orientations ont un caractère général. Elles s'organisent autour de trois axes traditionnels, le développement humain, le développement productif et le développement culturel, auxquels se sont ajoutées, selon le mémorandum de la France au Comité d'Aide au Développement pour l'année 1992, trois priorités nouvelles: l'environnement, le développement institutionnel et la lutte contre la pauvreté.

    « Notre coopération en matière de lutte contre la pauvreté, précise ce rapport, est fondée sur une approche privilégiant l'aide aux pays les plus pauvres, plus précisément aux PMA africains. Elle soutient principalement les actions contribuant à accroître la capacité des plus démunis à promouvoir leur propre développement (éducation, santé, accès au crédit et aux terres...). L'accent est également mis sur les actions en faveur de la démocratisation politique mais aussi économique (développement participatif, décentralisation, participation des femmes au développement).

    « En tout état de cause, l'ensemble des projets engagés et soutenus par l'aide publique au développement française concourent, d'une manière ou d'une autre, à la réduction de la pauvreté ».

    Mais au-delà de ces aspects généraux, la lutte contre la pauvreté ne s'affirme concrètement qu'à travers quelques programmes épars, allant de la coopération de proximité à la mise en place de nouveaux instruments financiers (voir chapitres 4 et 5). Ces programmes ne constituent en eux-mêmes ni une approche globale, ni une stratégie. L'examen des mécanismes et procédures d'attribution de l'aide révèle au contraire qu'aucune institution gérant l'aide française - Ministères de la Coopération, de l'Economie, des Affaires Etrangères, Caisse Française de Développement - n'a fait de la lutte contre la pauvreté un objectif à part entière et que "les pauvres" eux-mêmes, en tant que groupe social et concept économique, ne sont pas identifiés. Seules sont connues des formes de pauvreté, appelant des actions ciblées.

    La priorité déclarée en matière de pauvreté, que ne confirment pas réellement les statistiques disponibles, procède donc plus d'un effet d'affichage que d'une orientation nouvelle et clairement définie dans ses objectifs, ses méthodes et ses moyens d'action. Ni concept défini, ni objet d'une stratégie organisée, ni critère d'attribution ou même de mesure de l'aide, la pauvreté, en tant que problématique spécifique, reste largement méconnue des institutions françaises. Elle n'apparaît donc pas comme un élément structurant de leur politique d'aide, laquelle s'organise davantage autour d'orientations macro-économiques ou sectorielles, que mettent en oeuvre des programmes décentralisés. Plus spécifiquement:

  • en termes de stratégie, la lutte contre la pauvreté n'est que l'un des aspects d'une approche globale en faveur du développement, qui englobe l'efficacité économique et la justice sociale, mais aussi les relations extérieures et le développement institutionnel (les raisons possibles de cette spécificité française seront esquissées en conclusion);
  • en termes de répartition géographique, l'Afrique sub-saharienne totalise quelques 60% de l'aide publique bilatérale. La part de l'aide s'adressant à des pays de faible revenu avoisine 40%. Mais cette proportion est plus élevée, en moyenne, au sein des pays du CAD (57,5% en 1993/94) et la répartition géographique de l'aide française repose sans doute davantage sur des considérations d'ordre historique et diplomatique que sur un critère de pauvreté;
  • en termes de répartition sectorielle, l'analyse comparative entre les pays du CAD des flux d'aide ne témoigne pas d'une priorité française en matière de pauvreté, mais il faut reconnaître que les nomenclatures statistiques utilisées par les institutions nationales sont largement étrangères à cette problématique et ne permettent donc pas la mesure précise des flux affectés à la lutte contre la pauvreté.

    C'est donc sur la base d'estimations - contestées par l'administration française - que le PNUD a chiffré à 25,1% pour la France, dans son « Rapport sur le développement humain, 1991 », la part de l'aide destinée aux besoins prioritaires du développement humain (éducation primaire, santé de base...), taux le plus faible - après l'Italie (22,4%) - des pays industrialisés, où la moyenne serait de 36,6%. En termes de pourcentage du PNB, l'aide française affectée à ces besoins prioritaires dépasserait toutefois assez largement la moyenne de ces pays (environ 0,05% contre une moyenne inférieure à 0,03%).


    2. La gestion des actions contre la pauvreté à travers les programmes par paysPour la coopération française la réduction de la pauvreté repose sur le développement économique et non sur une stratégie propre et organisée. Faute d'apparaître comme un élément structurant de l'aide, la lutte contre la pauvreté ne s'affirme dès lors pour la France qu'à travers quelques actions ciblées, décrites aux chapitres 4 et 5. Les chapitres 2 et 3, relatifs à la programmation et à l'aide financière, lesquelles ne sont pas guidées par un objectif de pauvreté, n'appellent donc pas de développement substantiels dans le cadre de cette étude, qui se limitera au rappel de quelques caractéristiques essentielles.

    En premier lieu, la programmation est marquée par une certaine dispersion des interventions, liée à l'éclatement institutionnel du système français d'aide au développement: la programmation se fait séparément pour chaque administration responsable, à l'intérieur d'une enveloppe votée au Parlement. Une budgétisation sur plusieurs années existe pour l'aide à l'investissement (FAC, protocoles du Trésor), mais la coopération technique est soumise à la règle de l'annuité.

    Pour les pays « du champ », l'instrument de cohérence des programmes d'aide est constitué par les politiques sectorielles de l'administration centrale (politique de l'eau, de la forêt, de développement local, de lutte contre la désertification...). Celles-ci ne s'organisent pas autour du thème de la pauvreté mais d'orientations techniques évolutives (en matière d'environnement, de réforme institutionnelle, d'efficacité économique et sociale...) appliquées à un domaine d'action précis. Ces politiques sectorielles fixent ainsi les principes et recommandations qui se dégagent de l'expérience acquise à un moment donné et que doivent respecter les missions locales en matière de programmation et de propositions. Elles constituent un élément nouveau des orientations de l'aide, qui étaient auparavant fondées sur la nature des projets, puis des programmes. Les commissions mixtes bilatérales, où sont définies d'un commun accord les orientations de l'aide française dans un pays donné, sont devenues moins fréquentes (tri ou quadriennales et non plus annuelles) et portent désormais sur ces stratégies sectorielles, qui servent à l'élaboration - par les représentations locales de la Caisse Française de Développement et du Ministère de la Coopération - des orientations à moyen terme (OMT), cadre de cohérence commun aux programmes de ces institutions.

    Au Ministère de la Coopération, un département spécifique prépare la « programmation Etat » (représentant 55% du FAC 1990), qui fixe les enveloppes des missions sur le terrain. A l'intérieur de ces enveloppes, les missions établissent, en concertation itérative avec l'administration centrale sur les aspects budgétaires, mais de manière largement décentralisée quant à l'initiative et à l'instruction des projets, leurs programmes annuels en fonction des OMT retenues. Les programmes inter-Etats et d'intérêt général (représentant respectivement 12% et 23% du FAC 1990) sont instruits par l'administration centrale elle-même.

    Pour les pays « hors champ », la programmation se fait sur proposition du Ministère de l'Economie pour les actions d'investissement (protocoles du Trésor) et sous forme d'une enveloppe globale pour la coopération technique.

    Au Ministère de l'Economie, ce sont les postes d'Expansion Economique de la DREE (Direction des Relations Economiques Extérieures) qui instruisent et suivent sur le terrain les projets financés sur protocoles du Trésor. Leur enveloppe globale est votée au Parlement. Sa répartition entre les pays évolue peu d'une année sur l'autre. En 1995, l'Asie totalisait la moitié des financements, l'Amérique latine et l'Afrique 3 à 4 % seulement. En réalité, la gestion des projets entre le Trésor et la DREE conduit à de fortes pesanteurs institutionnelles, qui s'ajoutent à des considérations d'ordre économique, social, financier ou diplomatique pour déterminer la répartition géographique et sectorielle des fonds. Celle-ci ne s'inscrit donc dans aucune stratégie définie de lutte contre la pauvreté. Egalement gérée par le Trésor, l'aide alimentaire française, de la compétence du Ministre de l'Economie, n'apparaît neutre ni économiquement ni politiquement: d'une part, cette aide est souvent utilisée comme levier d'une présence diplomatique ou commerciale dans les pays qui connaissent un déficit alimentaire; d'autre part, elle est marquée par quelques régimes de faveur ou d'exclusion. L'aide alimentaire française, destinée à fournir les marchés locaux, n'a donc pas pour objet unique de répondre aux besoins des pauvres, mais s'inscrit plutôt dans des relations d'Etats.

    De la même manière, en aval des projets, chacune des institutions d'aide possède sa propre structure d'évaluation. Au Ministère de la Coopération, une « mission chargée des études, des évaluations et de la prospective (MEEP) » organise trois types différents d'évaluations annuelles: sectorielles, géographiques ou de politiques des moyens. Celles-ci ne se limitent pas à un contrôle technique et financier, mais recherchent les effets en termes de développement des actions auditées. Ces évaluations ne comprennent pas de composante systématique sur la pauvreté, alors qu'il existe, par ailleurs, des cadres sur des thèmes tels que l'environnement ou le rôle des femmes au sein des projets.

    Au Ministère des Affaires Etrangères, un « Comité d'évaluation » existe au sein de la DGRCST. A la Caisse Française de Développement un « service Evaluations rétrospectives » audite des projets et programmes opérationnels. Au Ministère de l'Economie, la « cellule évaluation » du Trésor confie à des experts externes des audits par secteurs, par types d'aide, par pays bénéficiaires et par projets. Cette cellule anime également un groupe de travail comprenant les services d'évaluation du Ministère de la Coopération, du Ministère des Affaires Etrangères et de la Caisse Française de Développement, permettant un échange et une coordination des travaux. Mais aucune de ces structures n'a vocation à conduire des analyses d'impact en termes de pauvreté.


    3. La lutte contre la pauvreté à travers l'aide financièreLe « soutien économique et financier », qui s'inscrit dans les relations d'Etat à Etat, vise davantage à restaurer les équilibres macro-économiques qu'à protéger les populations vulnérables. Hormis une priorité généralement donnée aux dépenses destinées aux populations, notamment celles de santé et d'éducation, dans l'affectation des aides budgétaires (ou des fonds de contrepartie de l'aide financière), il n'existe aucune politique française définie, ni active, ni incitative, de réduction de la pauvreté des personnes à travers l'outil financier. Ceci est d'autant plus vrai que, jusqu'à une date récente, cette aide répondait principalement à une logique d'affectation, et non de conditionnalité, et qu'elle s'inscrit, depuis 1993, pour les programmes d'ajustement, dans le sillage des conditionnalités du Fonds Monétaire International et de la Banque Mondiale. L'aide financière française se partage, pour l'essentiel, entre le traitement de la dette (Club de Paris, attentif à la situation des pays les plus pauvres, non à celle des individus les plus pauvres), à hauteur de 40% du total en 1992, les aides budgétaires (25% du total), accordées de manière ad hoc par les autorités françaises - en général en dehors de toute convention - et les concours à l'ajustement structurel (20%). Aucun de ces trois instruments n'a introduit de conditionnalité en matière de lutte contre la pauvreté.

    Les concours à l'ajustement structurel, outre les cofinancements de programmes multilatéraux, alimentent certains programmes bilatéraux d'ajustement, préparés de manière tripartite par le Ministère de l'Economie, le Ministère de la Coopération et la Caisse Française de Développement, et exécutés dans le cadre d'une convention avec le pays receveur. Jusqu'en septembre 1993, ces concours (généralement affectés à des dépenses budgétaires ou des programmes d'appui) débouchaient rarement sur des conditionnalités autres que techniques. Depuis, ils ne peuvent concerner que les pays signataires d'un accord avec les institutions de Bretton-Woods, ce qui en accroît la conditionnalité macro-économique, mais non point la dimension sociale. En dehors des revues de dépenses publiques, ils ne font pas l'objet d'une évaluation régulière quant à leurs résultats. Leur impact sur la pauvreté n'est donc pas appréhendé.


    4. La réduction de la pauvreté à travers l'aide projetIl n'existe aucun mécanisme général, ni dans la conception, ni dans l'exécution, ni dans l'évaluation des projets, visant à intégrer la lutte contre la pauvreté comme composante et objectif de ceux-ci. L'aide française dispose toutefois de programmes ciblés en direction des populations vulnérables tels que les financements décentralisés de la Caisse Française de Développement, en faveur de petites entreprises et de ménages pauvres, ou le Fonds Social de Développement. Ces programmes méritent d'être présentés dans la mesure où ils visent effectivement des groupes cibles et des populations vulnérables et où ce sont les seuls à avoir été retenus par la Caisse Française comme relevant explicitement de la lutte contre la pauvreté.

    4.1 - L'aide aux initiatives productives de base (AIPB)

    Mis en place en 1986 par la Caisse Française de Développement, ce programme n'a sans doute pas pour objet unique la réduction de la pauvreté mais il répond efficacement aux besoins des micro-entreprises urbaines ou rurales, vivier des emplois et des petites et moyennes industries de demain, qui ne trouvent pas à se financer auprès du secteur bancaire en raison de leur appartenance au secteur informel. Ce dispositif très décentralisé et qui cherche à s'adapter aux particularités locales, offre à des taux attractifs des prêts d'une durée allant de 2 à 7 ans et d'un montant variant de 20.000 à 400.000 francs. Il a connu un fort développement en 1994, avec 243 projets financés, contre 169 en 93, pour un montant proche de 48 millions de francs, en augmentation de 25% par rapport à 1993.

    Pourtant très en vogue ces dernières années, la difficulté et le coût du suivi par les agences de la Caisse Française de Développement d'une multitude de projets et les faibles taux de remboursement (65%) ont conduit, dans un premier temps, la Caisse française à rechercher des structures d'appui pour le suivi des opérations, trop coûteux en temps pour ses agences locales, puis à remettre en cause la poursuite de ce programme.

    4.2 - Les systèmes financiers décentralisés

    Face à l'effondrement des banques de développement, la frilosité des banques locales et la place occupée par les tontines et l'usure, le Ministère de la Coopération et la Caisse Française de Développement ont implanté, particulièrement en milieu rural, des systèmes de financement de proximité en direction de ménages pauvres avec l'aide d'opérateurs locaux. Entre 1987 et 1994, ils ont engagé quelques 330 millions de francs pour financer une vingtaine de projets en ce sens. Les acquis obtenus en milieu rural ont été mis à profit depuis quelques années pour lutter contre la pauvreté urbaine à l'aide de prêts aux ménages pauvres. Deux types de systèmes ont été développés: le crédit mutuel, fondé sur l'épargne préalable, et le crédit solidaire, où quelques personnes empruntent solidairement. En s'appuyant sur des ONG relais et des opérateurs sur le terrain, filiales d'institutions françaises de crédit, la Caisse Française a développé avec succès cette formule en Afrique. Mais la généralisation de ces systèmes encore fragiles se heurte actuellement aux contraintes institutionnelles (lois bancaires) et techniques (taux élevés pour de très petits prêts à très court terme) afférentes à ce type de crédits. Le Ministère de la Coopération cherche à les consolider à travers des instruments de gestion susceptibles de les rendre autonomes et financièrement viables à long terme. A cette fin, il s'est doté en 1991, aux côtés de la Caisse Française de Développement, d'un instrument de réflexion, de concertation et d'appui institutionnel, le PRAOC (programme régional d'appui aux opérations d'épargne crédit décentralisées).

    4.3 - Le Fonds Social de Développement

    Initié en 1994 comme "Fonds Spécial de Développement" destiné à l'accompagnement social de la dévaluation (filet social), ce programme a été doté, pour la première année, d'une enveloppe de 400 millions de francs provenant du Ministère de la Coopération et de la Caisse Française de Développement. Le rapport d'activité 1994/95 de la Coopération française dresse le bilan de cette première phase:

    « Destiné à atténuer les effets négatifs immédiats de la dévaluation - hausse des produits importés, du coût de l'énergie et des transports, baisse du pouvoir d'achat des ménages, le FSD s'adresse en priorité aux populations les plus vulnérables.

    « Dès les six premiers mois, l'impact de cette opération conjoncturelle a été considérable. Elle a permis de conduire de nouvelles opérations de coopération fournissant des revenus immédiats aux populations les plus touchées par la dévaluation, notamment dans les quartiers urbains. Le dispositif même du FSD, qui relève à la fois du Fonds d'aide et de coopération et de la Caisse française de développement, a innové en créant un comité de gestion qui associe aux bailleurs (missions et agences) les représentants de l'Etat bénéficiaire. Ce fonds d'urgence, d'utilisation immédiate, est attribué sous forme de don à des associations, des collectivités locales, ou des partenaires économiques non étatiques qui proposent des projets ne dépassant pas deux millions de francs.

    « En 1994, les opérateurs sont intervenus dans deux secteurs dominants: l'aménagement urbain et les besoins de base en formation et santé. Fortement encouragée, l'ouverture de chantiers d'intérêt public à haute intensité de main-d'oeuvre a permis la création de revenus temporaires notamment chez les chômeurs urbains. Les autres groupes soutenus par le FSD ont été les populations défavorisées, les jeunes, les femmes seules, les migrants, les malades, les orphelins du Sida, et les habitants des quartiers les plus pauvres dans les villes. Mais cette coopération de proximité s'est aussi adressée aux associations de parents d'élèves et aux groupes à potentiel économique: artisans, micro-entreprises, groupements de femmes »

    Montant et répartition géographique du FSD en 1994 (première et deuxième tranche), en millions de francs.

    Pays les moins avancés (PMA)

    FSD-1

    FAC

    CFD

    FSD-2

    FAC

    CFD

    Total

                   
    Sénégal

    50

    -

    50

    10

    -

    10

    60

    Mali

    20

    -

    20

    10

    10

    -

    30

    Burkina Faso

    25

    10

    15

    10

    10

    -

    35

    Niger

    20

    5

    15

    5

    -

    5

    25

    Tchad

    10

    5

    5

    6

    6

    -

    16

    République Centrafricaine

    5

    -

    5

    3

    -

    3

    8

    Bénin

    15

    6

    10

    5

    -

    5

    20

    Togo

    4

    -

    4

    15

    7,5

    7,5

    19

    Guinée équatoriale

    5

    5

    -

    2

    -

    -

    7

    Comores

    3

    -

    3

    2

    -

    -

    5

    Total PMA

    157

    30

    127

    68

    30,5

    30,5

    225

                   
    Pays à revenu intermédiaire (PRI)

    FSD-1

    FAC

    CFD*

    FSD-2

    FAC

    CFD*

    Total

                   
    Cameroun

    40

    40

    -

    10

    10

    -

    50

    Congo

    20

    20

    -

    10

    10

    -

    30

    Côte d'Ivoire

    42

    42

    -

    10

    10

    -

    52

    Gabon

    15

    15

    -

    5

    5

    -

    20

    Total PRI

    117

    117

    -

    35

    35

    -

    152

                   
    Divers

    3

    3

    -

    -

    -

    -

    3

                   
    Total général (PMA + PRI + Divers)

    277

    150

    127

    103

    72,5

    30,5

    380

    * La répartition entre moyens du FAC et de la CFD procède de leurs vocations propres : en particulier, la CFD ne peut faire de dons aux PRI. La répartition privilégie les pays à forte population urbaine, dont la consommation est plus dépendante des importations.

    Répartition des attributions du FSD par secteurs en 1994

    secteurs

    montant en MF

    montant en % du total

    rural

    4,9

    2,0

    action économique

    23,3

    9,7

    urbain

    109,9

    45,7

    éducation

    39,1

    16,3

    santé/médicaments - action sociale

    62,0

    25,8

    Total

    239,5

    95,5

    Sources : Ministère de la Coopération

    « Laboratoire » d'une nouvelle coopération de proximité bénéficiant aux populations à travers des réalisations concrètes et rapides qui associent la société civile et les collectivités sur le terrain, le FSD a été reconduit en 1995 et pérénisé depuis sous la forme d'un « Fonds Social de Développement », auquel les missions locales ont instruction de consacrer 15% du montant des programmes pays, ce seuil pouvant être dépassé avec l'accord de l'administration centrale. Ceci témoigne d'une prise de conscience que l'aide doit évoluer vers des projets participatifs, porteurs d'effets d'entraînement et répondant directement aux besoins des plus pauvres, souci que les crédits déconcentrés d'intervention (CDI), mis à la disposition des missions locales dans les années 1970 pour financer de manière déconcentrée des opérations de moins de un million de francs jusqu'à hauteur de 10% des programmes pays, ne semblent pas avoir pleinement intégré.


    5. Autres canaux de la lutte contre la pauvretéDans une acception large, le développement local, l'appui à la décentralisation, la coopération décentralisée et l'appui à l'action des ONG relèvent de la lutte contre la pauvreté lorsqu'ils agissent sur la situation des plus démunis, même si leurs objectifs et priorités sont plus larges et si la lutte contre la pauvreté n'est pas nécessairement la préoccupation première.

    5.1 - Le développement local

    Le développement local, en s'attachant à mettre en valeur les ressources d'un terroir par une organisation des infrastructures, des marchés, des filières, agricoles ou artisanales, met en oeuvre une forme participative de coopération en direction de communautés pauvres. Le rapport d'activité précité de la Coopération française en retrace le cheminement, à travers sa propre expérience en milieu rural:

    « Les stratégies de développement rural, qui, jusque-là, privilégiaient l'approche "gestion de terroirs", centrée sur la mise en valeur du patrimoine naturel (agriculture, élevage, exploitation des forêts), ont évolué, ces dernières années, vers une approche plus globale en faveur d'un "développement local". Celui-ci s'efforce d'associer les communautés rurales à l'ensemble du développement de leur région.

    « Pour répondre à cette nouvelle orientation, le ministère de la Coopération soutient la structuration de la société rurale en Afrique en appuyant, notamment, la maîtrise d'ouvrage de projets villageois (aménagements fonciers, équipements sociaux...). Il contribue également à la mise en place de systèmes de financement décentralisés, qui permettent une gestion et des prises de décision au niveau local ».

    Le développement local recherche donc la participation des populations concernées à la conception et la mise en oeuvre des projets qui engagent leur avenir. Cette forme participative de coopération pourrait s'appuyer utilement sur des collectivités responsables aux représentants élus - à la fois opérateurs locaux et interfaces entre les bailleurs et les populations - dans le cadre d'une décentralisation administrative des institutions africaines.

    5.2 - La décentralisation

    Depuis 1993, la Coopération française a donné au développement local une dimension institutionnelle en lançant un programme novateur et ambitieux de décentralisation pour l'Afrique. Ce programme vise à doter les communautés de nouvelles institutions territoriales décentralisées, élues et rendues financièrement autonomes à l'aide d'une réforme fiscale. Ces institutions élues et responsables joueraient ainsi un rôle de catalyseur pour promouvoir le développement local, le respect des droits des personnes, la prise en compte des intérêts des minorités et, partant, la lutte contre la pauvreté.

    Devenue un thème institutionnel majeur de la réflexion française sur le développement en Afrique, la décentralisation est actuellement perçue par le ministère de la Coopération comme une réponse à la nécessité de redéfinir le rôle de l'Etat, d'asseoir la démocratie sur des fondements concrets et d'accroître la participation des citoyens au processus de développement. Après y avoir consacré des moyens humains et une enveloppe de l'ordre de six millions de francs en 1994, le ministère résume ainsi les enjeux du développement municipal, dans son rapport d'activité précité:

    « La décentralisation devrait alors permettre de dynamiser le développement économique local. Malgré la situation actuelle de crise, qui marque l'échec d'un modèle économique qui donnait un rôle moteur à l'Etat, les municipalités africaines sont devenues l'un des principaux opérateurs du développement local.

    « Par les marchés qu'elles lancent, les impôts et les taxes qu'elles prélèvent, leur capacité à mobiliser les acteurs locaux, leur capacité d'emprunt, elles pourraient influencer de façon positive le devenir économique de la région. Pour autant, il ne s'agit pas d'imposer un modèle "par le haut", de transférer au niveau local les pratiques de gestion opérées au niveau de l'Etat, ni d'épouser les schémas occidentaux.

    « L'appui au processus de décentralisation privilégie une vision "à la base" qui pose la question des besoins locaux (quels services aux populations, quels moyens humains et financiers pour les organiser?) et de l'appropriation des collectivités locales par les sociétés africaines ».

    Pour promouvoir une véritable « culture communale » en Afrique au travers d'actions de formation, d'échanges d'expérience et de travail en réseau des acteurs africains, le ministère de la Coopération souhaite s'appuyer sur la coopération décentralisée, celle-ci s'entendant de l'aide directe apportée par les collectivités territoriales françaises à leurs partenaires des pays en développement.

    5.3 - La coopération décentralisée

    La coopération décentralisée apparaît, en effet, comme l'un des moyens de favoriser la décentralisation, à travers des actions de formation, d'expertise, d'aide à la réflexion et au montage de projets par les collectivités du Nord auprès de leurs partenaires ou homologues africains. Ces collectivités françaises soutiennent également la relance économique en Afrique à travers le partenariat industriel, l'appui à l'organisation, la gestion ou la maintenance des entreprises et la promotion d'outils techniques, notamment de services. Elles peuvent ainsi être amenées à jouer un rôle non négligeable dans le recul de la pauvreté à l'échelon local. Trois formes principales de coopération ont été développées: les jumelages communaux, marqués par une dimension d'échanges et de relations humaines, la coopération urbaine, qui permet notamment d'appuyer la gestion des services et des infrastructures, et la coopération pour le développement d'activités économiques, qui repose avant tout sur la recherche d'intérêts réciproques, tels la création d'entreprises locales ou le partenariat industriel.

    Le Ministère de la Coopération et le Ministère des Affaires Etrangères appuient financièrement ces différents projets jusqu'à hauteur de 50%, pour des montants ayant atteint respectivement 28 et 25 millions de francs en 1995. La Coopération française soutient également l'action des collectivités territoriales françaises en Afrique à travers des contrats de plan, des conventions cadre et le dialogue d'Etat à Etat.

    5.4 - L'appui aux ONG

    Malgré son caractère encore limité, l'appui aux organisations non gouvernementales (ONG) doit être évoqué en raison du rôle de ces institutions dans la lutte contre la pauvreté. La part de l'aide française destinée à subventionner les ONG (variant de 0,2 à 0,4%, contre une moyenne oscillant entre 1,2 et 2% pour les pays du CAD) place la France au quinzième rang des dix-huit pays de l'OCDE. Toutefois, une tendance au renforcement de cet appui se dessine: en 1995, une augmentation de 30% des crédits alloués aux ONG a été programmée par la Coopération française, laquelle a annoncé un objectif de 10% du FAC exécuté par les ONG (contre 5,9% actuellement pour l'appui direct aux ONG). En outre, les synergies entre les ONG et les pouvoirs publics se renforcent, à travers une participation des ONG aux commissions mixtes et la création, en 1983, d'une « Commission coopération développement », chargée d'assurer un dialogue permanent inter-institutions et comprenant, depuis 1995, un « comité paritaire de programmation », destiné à mettre en oeuvre une programmation conjointe des interventions du secteur non gouvernemental. Sur un total de 49,1 millions de francs en 1994, l'éducation, la santé, les secteurs sociaux, le développement rural, vecteurs privilégiés de la lutte contre la pauvreté, totalisent 60% des financements FAC aux ONG, comme le souligne le tableau ci-après, extrait du rapport d'activité de la Coopération française:

    Répartition des cofinancements auprès des ONG au titre du FAC 1994

    Domaines

    Crédits FAC en %

    Education au développement

    12,4

    Santé

    15,9

    Social

    5,1

    Economique (commerce, artisanat, entreprises, énergie...)

    13,4

    Rural (agriculture, pêche, forêt, environnement...)

    26,5

    Formation professionnelle - Enseignement

    17,0

    Autres

    10,7

    Total

    100

    Source: Ministère de la Coopération


    6. ConclusionDu point de vue de la pauvreté l'aide française apparaît spécifique: la pauvreté n'est affichée comme priorité concrète dans aucune institution d'aide; elle n'est pas intégrée aux processus de programmation ni d'évaluation; elle ne fait l'objet d'aucune stratégie propre ou politique définie; elle n'apparaît ni comme un concept de développement, ni comme un objet statistique, ni comme un critère d'attribution de l'aide. Enfin, selon les institutions internationales, la part de l'aide française totale affectée aux besoins prioritaires du développement humain est faible. Les raisons de cette spécificité peuvent être recherchées dans trois directions principales.

    Une première raison est d'ordre « philosophique » ou sémantique. En effet, la conception française rapproche bien souvent « pauvreté » et « indigence ». Les pauvres deviennent ainsi ceux qu'il faut aider par devoir de solidarité, abstraction faite des particularités circonstancielles qui expliquent la situation de précarité et des possibilités d'évolution individuelles qui permettraient d'en sortir durablement. Dans cette conception, qui repose aujourd'hui plus sur une notion "d'évidence" admise, que sur une réflexion approfondie et vérifiée, la pauvreté n'est pas perçue comme un phénomène à part, obéissant à des lois spécifiques, évolutif et sur lequel on peut agir directement, mais plutôt comme un état, relativement durable, qui s'origine dans « le sous-développement » en général et procède de causes multiformes. Il n'y a donc pas lieu, dans cette approche, d'élaborer une stratégie propre (à l'instar de la stratégie pour la survie de l'enfant, mise en place, dans un autre domaine, par James P. GRANT à l'UNICEF et fondée sur quatre programmes prioritaires) pour juguler des mécanismes de pauvreté clairement identifiés. Une telle stratégie apparaîtrait, sinon utopique, du moins peu opérationnelle en termes d'efficacité économique et sociale et peu rationnelle d'un point de vue stratégique parce qu'elle agirait de manière palliative, c'est-à-dire sur les symptômes de la pauvreté et non sur ses causes, multiformes et identifiées au sous-développement. L'approche française débouche donc sur une réponse sectorielle limitée - agir sur quelques formes de précarité bien connues par des programmes ciblés ayant fait leurs preuves - et privilégie l'action transversale en faveur du développement, jugé seul capable de relever le défi de la pauvreté, à l'exclusion de toute stratégie organisée. C'est ainsi qu'il faut comprendre la position française exprimée dans le memorandum présenté au CAD pour l'exercice 1992:

    «  En tout état de cause, l'ensemble des projets engagés et soutenus par l'aide publique au développement française concourent, d'une manière ou d'une autre, à la réduction de la pauvreté ».

    Dès lors, l'idée, développée notamment par la Banque mondiale, selon laquelle la mise en valeur de la capacité productive des pauvres permettrait de relever le double défi de la lutte contre la pauvreté et de la croissance apparaît largement absente des réflexions françaises.

    La seconde raison est liée à l'histoire: l'aide française reste largement dominée par les relations d'Etat à Etat, auxquelles sont réservés plus des trois quarts de l'aide publique bilatérale.

    En premier lieu, ces liens spéciaux rendent largement caduque la question de la répartition géographique de l'aide en fonction d'un critère de pauvreté: la priorité africaine permet ipso facto d'en affecter une grande partie aux PMA.

    En deuxième lieu, ils ont fait de l'aide française l'héritière d'une « coopération de substitution » - née des Indépendances et marquée par une assistance technique forte et des interventions éparses là où la capacité nationale faisait défaut - qui n'a pas achevé sa mutation vers la « coopération de partenariat », fondée sur l'autonomie et la responsabilité des pays receveurs et privilégiant le renforcement des capacités nationales.

    Le manque de priorités claires, de stratégie en général, de coordination avec les autres donateurs sur le terrain en vue d'une définition et d'une gestion communes des politiques et des programmes décentralisés, la dispersion des interventions et une coopération où la dimension culturelle est forte et les relations bilatérales sont privilégiées apparaissent ainsi comme le résultat de l'histoire et de ces liens particuliers d'Etat à Etat. Or, la lutte contre la pauvreté va au-delà des logiques d'Etats. Centrée sur l'individu, elle appelle certes le concours actif des pouvoirs publics, mais aussi une stratégie coordonnée des acteurs du développement, une démarche participative de la société civile, impliquant des opérateurs locaux, générant des effets structurants et demandant du temps. La prise de conscience française en faveur de la « coopération de proximité » témoigne bien d'une évolution de pensée et d'action vers cette approche participative. Mais cette évolution demeure lente et encore limitée, la lutte contre la pauvreté ne mobilisant, en France, selon les organisations internationales, qu'une faible part de l'aide totale - et de la réflexion.

    Un dernier motif du manque de mobilisation autour du thème de la pauvreté est d'ordre statistique, l'orientation géographique de l'aide française renforçant la difficulté de la définition et la mesure de la pauvreté pour les institutions qui gèrent cette aide. En effet, l'élaboration d'une stratégie et d'un suivi de la pauvreté impliquerait l'identification de groupes-cible, la construction d'indicateurs sociaux, de revenus, de redistribution. Il faudrait disposer d'une information statistique fiable, pertinente et suivie sur la pauvreté dans ses différents aspects. Or, outre de l'isolement fréquent des populations vulnérables, les pays ACP, bénéficiaires de la majeure partie de l'aide française, souffrent d'importants retards dans leurs systèmes d'information. La Coopération danoise (dans un rapport de mars 1995, préparé par le Centre de Recherche en Développement et portant sur l'ajustement structurel) estime ainsi qu'en Afrique la distribution des revenus n'est renseignée avec certitude et régularité que pour 6% de la population (contre 55% en Amérique latine et 95% en Asie), ce qui paraît exclure pour le moment toute analyse et tout suivi pertinents de la pauvreté et de ses mécanismes, sauf à utiliser et relancer les travaux conduits à cette fin dans le cadre de la Dimension Sociale de l'Ajustement (DSA). Or, ce programme conjoint du PNUD et de la Banque mondiale, dans lequel la France ne s'est jamais sérieusement impliquée ces dernières années, ne semble pas avoir débouché, à ce jour, sur des résultats concluants. Dans ces conditions, le renforcement effectif du système d'information en matière de pauvreté apparaît comme un objectif préalable à la mise en oeuvre de stratégies efficaces et suivies de lutte contre la pauvreté en Afrique et, partant, à une évolution de la position de l'administration française sur ce thème majeur du développement. Pour les pays de l'UEMOA (Union Economique et Monétaire Ouest Africaine), il est à espérer que l'institution du système de surveillance multilatérale des politiques macro-économiques prévu au traité de l'Union, laquelle portera notamment sur la répartition des revenus, permettra, à terme, la réalisation de cet objectif.


    Mise à jour: 24 février 1997
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